Annoncé comme l’évènement théâtral de la saison, Phèdre(s) est rien de moins qu’une pièce totale. Décors mouvants, vidéos, concert, danse, le spectacle de 3h10 multiplie les facettes et interloque une audience surprise par tant d’éclectisme. La mise en scène de Krzystztof Warlikowki déroutera les puristes et ravira les iconoclastes. Les Phèdres interprétées par la grande Isabelle Huppert sont des punks érotomanes. Un moment de théâtre puissant et perturbant.
La critique de Phèdre(s)
Isabelle Huppert et Krzystztof Warlikowki se sont déjà entrechoqués en 2010 sur la scène de l’Odéon. Dans l’adaptation d’Un Tramway nommé Désir, Isabelle Huppert jouait une Blanche du Bois habitée et hystérique à souhait. Le personnage bipolaire de Tennessee Williams ensorcelait le public. Krzystztof Warlikowki ne la ménageait déjà pas et elle multipliait les performantes jubilatoires. On passe un cran au dessus avec un Phèdre(s) complètement déjanté. Ce n’est pas Racine qui est passé à la moulinette mais les autres auteurs d’oeuvres similaires. Wadji Mouawad, Sarah Kane et J.M. Coetzee ont repris le célèbre thème mythologique et livré des versions psychanalytiquement actualisées et détournées. Phèdre, Thésée et Hyppolite deviennent des névrosés modernes possédés par leurs pulsions. Le sang et le stupre suintent dans chacune de leurs apparitions.
Pour rendre compte des orages intérieurs, Krzystztof Warlikowki ne recule devant aucune exubérance formelle. La pièce débute par un concert envoûtant. Une danseuse se déhanche frénétiquement sur des rythmiques rock arabisantes. Vêtue de sa perruque blonde, Isabelle Huppert fait une entrée discrète mais voyante. Comme conviée à un rendez vous érotique, elle enlève son pardessus et se retrouve en petite tenue. Le ton est donné, la pièce sera sexuelle. Placés sous l’égide d’Aphrodite, les personnages vont étaler leur libido 3 heures durant dans des démonstrations explicites de leurs penchants. Les scènes d’inceste et de débauche symbolisent l’abime intérieur de personnages vidés de leur substance. Pour exister, ils doivent tester l’interdit et ressentir le poids d’une culpabilité euphorisante.
Les tableaux s’enchainent avec une même histoire certes indéfiniment répétée mais à chaque fois modifiée. Phèdre tourne autour de son beau fils et pleure ce mari toujours absent. L’entracte voit une partie significative du public quitter la salle. Ceux qui restent adhèrent à l’ambition formelle du metteur en scène. La pièce est un coup de poing dans le visage, pénible mais puissant. La pièce reflète cette humanité tourmentée, incessamment confrontée à ses contradictions. Il fallait bien une Isabelle Huppert en chaleur pour faire ressortir l’argument tragique des auteurs. Pas de pudeur dans ce spectacle pour adultes. Et puis il faut voir cette danseuse sexy à souhait teaser les spectateurs…. je n’aurais pas aimé être au premier rang… ou pas? Pendant que les vidéos exhibent Isabelle Huppert sous toutes les coutures, le texte tragique retentit comme des balles de pistolet aux oreilles de spectateurs devenus sourds.