Démesure et décadence dans le fascinant Nous sommes repus mais pas repentis

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Nous sommes repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein) est monté sur la scène des Ateliers Berthier. La dépendance du Théâtre de l’Odéon propose rien de moins qu’un choc théâtral, de ceux qui bouscule le spectateur et le laisse fourbu après 2h20 d’outrance scénique. La foudre tombe dans la mise en scène excentrique et démesurée de Séverine Chavrier. En retranscrivant habilement l’ambiance schizophrène de Thomas Bernhard, elle projette les spectateurs aux frontières de la folie et de la pathologie psychiatrique.

La critique de la pièce Nous sommes repus mais pas repentis aux Ateliers Berthier

L’auteur et dramaturge Thomas Bernhard (1931-1989) met beaucoup de lui même dans des pièces à la lisière de l’exorcisme personnel. Balloté dans son enfance dans des déménagements répétés mal vécus, il connait la maltraitante et l’humiliation de la part de ses congénères et échoue quelques années dans un internat nazi. Le nazisme est une constante de son oeuvre, lui qui rapproche le système éducatif occidental de ce qu’il a pu y vivre. La personnalité retorse et hantée de Thomas Bernhard empreint toute son oeuvre d’une rage qu’il aimerait canalisée mais qu’il ne peut que laisser déferler dans ses textes. Déjeuner chez Wittgenstein est publié en 1984 et devient Nous sommes repus mais pas repentis sur la scène des Ateliers Berthier. L’auteur qui clamait en 1968 Nous Autrichiens sommes apathiques; nous sommes la vie en tant que désintérêt général pour la vie ne cesse de faire balancer ses personnages entre fureur et abattement, ce que Séverine Chavrier retranscrit avec délectation dans une pièce qui laisse acteurs et spectateurs à bout de souffle.

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3 personnages s’affrontent dans une déclinaison sournoise du Famille, je vous hais. La pièce s’inspire des liens de Thomas Bernhard avec Paul Wittgenstein, le neveu du philosophe Ludwig Wittgenstein. Ici, le frère Ludwig sort de l’hôpital psychiatrique pour retrouver ses deux soeurs. L’outrance prend tout son sens avec ces diatribes contre la musique, l’art, l’ascendance familiale et tous ces fantômes hantant la sinistre demeure. Le petit personnel a été prié de prendre congé pour laisser la fratrie palabrer, s’étriper et se retrouver. Le ton varie entre décadence, dégénérescence et apartés enflammés. L’exaltation aboutit à de violentes harangues contre ce père industriel fortuné accusé d’avoir frayer avec les nazis. L’accablement guette ses deux soeurs obligées non seulement d’assister à ce festival de démesure mais également d’y participer.

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Les fantômes du passé ressurgissent constamment à travers ces vidéos projetées sur les écrans cernant la scène. Des instants d’une harmonie enfouie, passée à marcher dans la neige et à partager une existence alors placide. Ludwig est devenu un dictateur domestique atteint d’une irrépressible diarrhée verbale, expliquant tout et critiquant à l’envi ses soeurs. Le comble de la fureur ambiante est atteinte avec cet omniprésent et détesté Richard Wagner, inspiration d’un père qui a inculqué à ses enfants l’amour d’une musique classique partie intégrante du système oppressif domestique. Si une soeur continue de pratiquer le piano, les deux autres ont mis une distance avec ce symbole oppressif transmis de génération en génération. Le texte brutal de Thomas Bernhard donne à Séverine Chavrier l’occasion de multiplier les moments de bravoure. Accompagnée de Marie Bos et Laurent Papot, elle se mêle à la bataille domestique sous toutes ses formes.

Les 33 tours volent sur une scène tranformée en dépotoir, salon bourgeois jonché de porcelaine brisée et entouré de portraits sans âge. L’argument de la pièce est ce repas maladroitement préparé par une soeur habituée à se faire servir. La nourriture est gâchée, comme un symbole de cette éducation défectueuse et hantée par les affres du nazisme. Les soeurs ne réagissent que faiblement aux outrances de leur frère, comme si une culpabilité inconscientes les faisaient se sentir partie prenante de la dégénérescence familiale. Ludwig balance les profiteroles, éructe tout en mangeant, les recouvrant de morceaux de nourritures comme autant de parcelles de l’abjection nazie. La pièce se découpe en une dizaine de tableaux réels ou fantasmés, chacun semblant se recouvrir d’oripeaux passés ou rêvés, changeant de peau pour redevenir eux mêmes, forcément incomplets et altérés.

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Conclusion

Les 2h20 passent comme un mauvais cauchemar, forcément dérangeant mais irrépressiblement fascinant. Les acteurs ne ménagent ni eux mêmes ni le spectateur, rivalisant d’énergie pour personnifier la fragilité psychologique de personnages tombés dans le gouffre de la décrépitude. La mise en scène est au diapason d’un texte rempli de la rage d’un auteur jamais repenti.

Plus d’info sur le site du Théatre de L’Odéon.

 

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