Des acteurs puissants dans un « Vu du Pont » dépouillé et émouvant

Charles Berling à la croisée des chemins

Arthur Miller investit les Ateliers Berthier pour un mois de représentations de son Vu du Pont. Rien de moins que Charles Berling pour porter cette pièce en compagnie d’acteurs et actrices investis dans une dramaturgie dépouillée mais physiquement incarnée. Deux heures de drame dans le Brooklyn prolétaire de l’après seconde guerre mondiale, fait de drames et de rêves mêlés. Quand on n’a pas de femmes, on a des rêves, s’écrit le personnage de Marco, cousin fraichement débarqué, fuyant la misère de son pays. Mais les rêves s’échouent trop souvent sur les rivages de la réalité…

 

Le dramaturge Arthur Miller rédige sa pièce de théâtre A view from the bridge en 1955, traduit et adapté par Marcel Aymé en 1958 sous le titre Vu du Pont. Porté à l’écran dès 1962 par le réalisateur Sydney Lumet, Vu du Pont est ancré dans son époque troublée, celle du maccarthysme et de la ruée vers l’ouest des migrants européens. Eddie Carbone est un docker d’origine italienne, pater familias besogneux et appliqué pour l’éducation de sa jeune nièce Catherine. Quand deux cousins de son épouse Béatrice émigrent d’Italie, il les reçoit à bras ouverts, sans se douter que les germes de la discorde vont prendre racine au sein même de son foyer. Catherine s’éprend du plus jeune cousin, Rodolpho, beau parleur, charmeur et ténor d’opérettes, s’attirant les foudres d’Eddie. La décision de Catherine et de Rodolpho de se marier va plonger Eddie dans un abime de désespoir et sceller le drame final.

Des cousins à l'origine du drame
Des cousins à l’origine du drame

A l’opposée des mises en scène habituellement ambitieuses et flamboyantes portées sur l’immense scène des Ateliers Berthier, le metteur en scène belge Ivo van Hove joue la carte de l’intimiste et du resserré. Une scène rectangulaire dépouillée de tout artifice, un noir et blanc primaire seulement zébré de rouge à l’heure du drame final, une musique omniprésente pour souligner les affects ou les coups de sang. Alfieri, narrateur débonnaire et avocat décati, égrène les étapes de l’action, apportant son recul blasé sur le fil des évènements. Son expérience des hommes l’avertit des affres de la passion chez des jeunes protagonistes aux rêves éveillés et aux perspectives floues. Eddie Carbone a lui les pieds bien sur terre. Spectateur impuissant des liens naissants entre les jeunes tourtereaux, il s’en ouvre à son épouse Béatrice avec une ulcération croissante. 

Une nièce éprise d'indépendance et de liberté
Une nièce éprise d’indépendance et de liberté

Eddie est un homme simple, aux émotions vraies et à la droiture éprouvée. S’il ne renâcle pas à la tâche, c’est pour assurer la subsistance des siens, sans calculs mais sans compromis. Quand il sent sa nièce Catherine lui échapper, un instinct protecteur primaire s’empare de lui, reflet de son son incapacité à s’élever au-dessus de sa condition. Il pense vivre le rêve américain mais sa nièce méprise sa mentalité de gagne-petit tandis que les clairons de la passion la font s’élever, non pas socialement comme le souhaiterait Eddie, mais fébrilement. Mirage ou entêtement, Catherine veut s’extraire de sa condition et vivre ses rêves à la manière d’un Rodolpho inconséquent. Il sait danser, chanter, charmer, il n’économise pas et achète des disques. Pas un mauvais bougre mais pas le gendre idéal selon les critères d’Eddie.

Un Charles Berling flamboyant
Un Charles Berling flamboyant

Fresque sociale, ce Vu du Pont limite les horizons à cette portion de Brooklyn où vit chichement une communauté de Dockers dépendante de l’arrivée des cargos depuis l’Europe. La théâtralité se limite au maximum à ce petit bout de terre où un oncle teigneux veut empêcher une nièce de se fourvoyer. Les personnages sont plus forts que l’histoire et l’implication totale des acteurs emporte l’adhésion. Torrent de cris et de passions, Vu du Pont impressionne par ce déchirement des faciès face à l’inéluctable drame. Le cube noir qui enchâsse la scène au centre de 3 gradins contient les ingrédients d’une misère sociale où s’affrontent droiture morale et inconséquence. Choc social autant que générationnel, Vu du Pont fait la part belle à Charles Berling face à un public tout autant conscient de la légitimité de ses craintes qu’angoissé face à son jusque boutisme morbide. 

Une pièce faite de drames et de passion
Une pièce faite de drames et de passion

 

L’ampleur est forcément limitée par l’exiguïté des lieux, quand on sait qu’une roue géante ou une scène grandiose peuvent être contenues dans les Ateliers Berthier. La carte de la promiscuité est justifiée par l’énergique démonstration d’acteurs impétueux et souverains, dans leur force et leur vulnérabilité. Entre un Ivanov surpuissant sur la scène de l’Odéon et ce Vu du Pont tragique à Berthier, la saison démarre en fanfares aux Théâtres de l’Odéon!

Lien Internet:
http://www.theatre-odeon.eu/fr/2015-2016/spectacles/vu-du-pont
Vu du Pont, Ateliers Berthier
1 Rue André Suares, 75017 Paris
du 10 octobre au 21 novembre

Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures,
De 8 € à 36 €. Durée : 2 heures
Tél. : 01-44-85-40-40.

 

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