Primé à l’issue d’un festival de Cannes foisonnant de films de qualité, Dheepan était loin d’être le favori des bookmakers. D’aucuns diront que le jury a récompensé Jacques Audiard pour l’ensemble de son oeuvre. 3 mois pour enfin découvrir la Palme d’or, c’est long, surtout que le buzz s’est dissipé et que les bandes annonces de films américains surpuissants trustent le net. C’est un beau pari pour rencontrer son public. Tout excité j’étais néanmoins, et je ne me suis pas fait prié pour découvrir (deux fois déjà!) cet ovni cinématographique présentant une famille tamoul s’exprimant 2 heures durant dans leur dialecte obscur. Avec un tel handicap, pas sûr que le film cartonne aux states… Pari osé mais gagnant pour un réalisateur habitué aux louanges de la critique et qui propose un film imparfait mais puissant.
Au Sri Lanka en 2009, la reddition des Tigres Tamouls occasionne une vague de départ de grande ampleur. Un combattant à bout de souffle fuit avec une femme et une jeune fille de 9 ans, ils ne se connaissent pas et reçoivent les papiers d’une famille défunte pour pouvoir quitter le pays. Direction la France et une banlieue parisienne où les dealers font la loi. Désireux de s’intégrer et de travailler dur, ils se font une place jusqu’à ce qu’une lutte sanglante ne fasse déraper leur quotidien. Sauront-ils surmonter cette situation délicate?
Petit reminder pour ceux qui connaissent mal Jacques Audiard. C’est le réalisateur d’Un homme très discret, Sur mes lèvres, De battre mon coeur s’est arrêté, Un prophète, De rouille et d’os. Soit 5 films très différents mais tous animés d’une même flamme, celle de la lutte contre les éléments et de la rédemption, pour une apothéose finale à chaque fois acclamée par le public. Des personnages abimés par la vie, plongés dans des environnements hostiles mais qui parviennent, à force de volonté, à remonter la pente. Un cinéma mêlant adroitement exigence et onirisme, struggle for life et moments de grâce. Un cinéma qui me fait immanquablement fondre. Et surtout proche du réel et des évolutions de la société, dans un style quasi documentaire, caméra à l’épaule, avec un montage nerveux et aiguisé. A l’instar d’un Abdellatif Kechiche, le style Audiard colle au plus près des personnages, soulignant leurs doutes et leurs petites joies. Et comme le réalisateur de La vie d’Adèle, il a été tour à tour acclamé et critiqué. La marque des grands?
Dheepan est avant tout une histoire d’immigration, fantasmée ou proche du réel, certainement un peu des deux. Les 3 réfugiés ne parlent pas la langue française, n’ont pas de ressources et doivent accepter tout ce qui s’offre à eux. Ce qui pourrait apparaitre comme des écueils insurmontables pour nous autres occidentaux devient une série d’opportunités à saisir pour cette famille recomposée. Du travail à la sauvette dans les rues de Paris à un poste rémunéré de gardien dans une cité HLM, le parcours de Dheepan s’apparente pour lui à une ascension sociale inespérée. Et quand sa compagne comprend qu’elle touchera 500 euros pour un job d’aide ménagère, elle saute au plafond. Différence de perspectives, différence de cultures. Comme elle l’explique à un dealer avec qui elle sympathise, on lui a appris à sourire après une chute. Qu’on est loin de l’aigreur occidentale.
Les 3 membres de la famille ne se connaissent pas et apprennent à cohabiter en même temps qu’ils découvrent un nouvel environnement. L’épouse n’a pas la fibre maternelle, ne parle pas français, s’effraie de tout. Dheepan est un ancien combattant, habitué à vivre à la dure. Les petits dealers ne lui font pas peur, lui qui a combattu au fusil d’assaut les troupes sri lankaises. Son recul sur les choses fait sa force et lui permettra de surmonter les embuches. Audiard suit les 3 protagonistes avec proximité et pudeur, faisant partager leur intimité, leurs moments de joie et leurs coups de blues. La langue ne devient plus une barrière avec le spectateur tandis que la force morale de Dheepan achève de séduire l’audience. Lui n’est pas perdu, il fait avec. Il bricole, améliore sa condition à coups d’astuces, remet en marche l’ascenseur laissé à l’abandon. Un héros très discret.
Les critiques sont tombés sur le film pour cause de dernière demi-heure versant dans le film d’action. J’avoue mon incompréhension. Audiard fait sortir ses personnages du quotidien pour les plonger dans une atmosphère rappelant l’île du départ, ce Sri Lanka si lointain mais si proche. On quitte la banlieue pour toucher à l’universalité, la lutte constante de l’homme contre son destin. La métaphore filée de l’éléphant pendant le film souligne la force tranquille de Dheepan. Il n’a cure de l’hostilité de la jungle et reste impassible. Droit dans ses bottes. Jusqu’au règlement de compte final. L’épilogue en Angleterre est certes maladroit et inutile, mais il ne m’a pas gâché le spectacle. Quant à cette vision caricaturale de la banlieue avec gros chiens et Zyva en pagaille, elle permet de faire un parallèle entre les difficulté de l’ile de départ et ceux de la banlieue d’arrivée. Que ce soit fidèle ou non à la réalité, difficile d’en juger.
Les acteurs amateurs font merveille. Anthonythasa Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan et Claudine Vinasithamby ont des CV’s certes légers mais se fondent sans mal dans cette histoire de famille qui lutte pour rester unie. Quant à Vincent Rottiers, il fait un dealer glaçant, sympathique mais potentiellement dangereux. Sa discussion avec Yalini sur la signification des oscillements de tête est croustillante. On en rigole encore.
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