Le Théâtre de l’Odéon lance son année 2016 avec un Richard III énergisant. Montée, jouée et dirigée par un Thomas Jolly au mour et au foulin, la pièce séduit par sa folie débridée. Le célébrissime texte du grand Shakespeare est respecté à la lettre, mis en valeur par une mise en scène digne des standards des lieux. La salve d’applaudissement finale témoigne de l’excitation d’un public plus que conquis. La première fut un immense triomphe. Explications.
Un peu d’histoire…
La pièce Richard III est une oeuvre de jeunesse du prolifique Shakespeare. Souvent couplée à la trilogie Henry VI, elle contribue à former la première tétralogie de Shakespeare. L’histoire romanesque de la royauté britannique est une source inépuisable d’intrigues tarabiscotées digne des Kardashian, en mieux. Richard III tient une place à part. Qui ne connait pas cette fameuse tirade « Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval!« . Souvent représenté sous les traits difformes d’un avorton bossu, Richard III est un vrai personnage tragique, complexe, ambigu. Véritable star au cinéma, il a été interprété par rien de moins que Laurence Olivier (Richard III), Ian McKellen (excellentissime Richard III ancré dans une ère fasciste uchronique) et Al Pacino (majestueux Looking for Richard).
Une histoire d’amour entre Thomas Jolly et Shakespeare
Après avoir monté un Henry VI en 3 parties sur plusieurs jours, Thomas Jolly remporte le Molière 2015 du metteur en scène d’un spectacle de Théâtre Public. D’abord présenté en Avignon, la fin du marathon de 18 heures fut ponctuée d’acclamations venant d’un public debout réclamant la 4e partie sous les cris de « Richard III! Richard III! ». C’est maintenant chose faite. Et quel moment théâtral! Une scène n’est-elle pas avant tout faite pour surprendre et interpeller? Le respect du texte est un incontournable, l’ambition théâtrale demande de l’audace et de l’exubérance pour marquer les esprits. Ce Richard III n’hésite devant aucun excès pour toucher à l’éternité. Allier le théâtre classique à une contemporanéité hardie éloigne le spectre des spectacles d’antan, en costume, ouatés mais figés dans un classicisme poussiéreux. En osant, Thomas Jolly abat les barrières et ouvre le théâtre au monde.
Une mise en scène ébouriffante
De plus en plus connaisseur des lieux, j’attends toujours avec impatience ces spectacles qui partent dans tous les sens. Les murs bougent, les tableaux s’agencent, les décors virevoltent. Nostalgique de ce Roméo et Juliette monté par Olivier Py en 2011, admirateur des décors technologiques d’Un Tramway par Krzystof Warlikowski en 2011 également, éberlué devant l’audace de l’adaptation des Particules élémentaires par Julien Gosselin en 2014, je ne manque pas de m’extasier dés lors qu’un metteur en scène cherche à surprendre avec un décor pluridimensionnel. Et comme Thomas Jolly ose les structures mouvantes, le jeu des clairs obscurs et la musique techno, je suis resté scotché à mon siège. Je ne spoilerai pas, mais ce mini-concert improvisé avant l’entracte est un pur moment de délice.
Une atmosphère cyberpunk pour un Richard III intemporel
Déclamer du Shakespeare demande une élocution rythmée et pointilleuse, parfaite et précieuse, pour justement oublier le texte et rentrer dans un univers de faux-semblants. Si Thomas Jolly pêche un peu dans des vers qu’il baragouine trop souvent, en privilégiant les effets à la clarté, je ne vois que perfection dans l’agencement des tableaux. Les costumes sont tout droit échappés de Matrix, la musique industrielle rappelle un Rammstein sous ecsta, les vidéos font penser à un Big Brother omniscient. Quoi de plus naturel pour un personnage flagorneur et perfide, prompt aux effusions pour mieux poignarder dans le dos. Dans son rôle de Richard III, Thomas Jolly me rappelle le John Galliano période Christian Dior, perché dans sa montagne et pourtant si génial. Un être ambigu, forcément intelligent à la lumière de ses oeuvres, et pourtant torturé. Rendu amer par son physique disgracieux, il recherche une rédemption illusoire dans la quête de pouvoir. Et s’il avale les mots, Thomas Jolly convainc par ses poses outrancières et sa suavité maléfique.
Un texte augmenté
Shakespeare, c’est comme la poésie. Rattaché à une autre époque, bien loin des écrans de smartphone et de l’immédiateté de l’information, il fascine toujours autant. Ses mots touchent à l’universel, ses tournures de phrase décochent autant de flèches dans des coeurs insatiables. Le lire est rendu difficile, pour moi en tout cas. Quoi de mieux que de le voir joué en live sur la scène de l’Odéon, calé sur un siège, sans perturbation technologique, afin d’apprécier dans des conditions optimales le génie de ce texte. Cette adaptation est iconoclaste, reliée au passé par les mots et tournée vers le futur par son rythme trépidant. Le revers de la médaille se constitue de ces quelques scènes statiques et longuettes qui pêchent justement par un classicisme inapproprié. Mais peut-on couper dans le texte et raccourcir? En a-t-on le droit? La matière brute devrait peut être se plier aux éclairs du metteur en scène? Le question reste ouverte…
Une pièce à voir absolument
Les quelques défauts glanés de ci de là ne sont que broutille face à la puissance dégagée par la mise en scène. Ce Richard III n’est rien de moins que puissant et impressionnant. Les 4h30 passent dans un souffle, on quitte éberlué la salle encore bruyante des acclamations finales. Shakespeare est encore bien vivant et sa descendance artistique ne cesse de l’invoquer, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Hâtez vous, les reservations vont partir à une allure folle!
Pour les réservations: http://www.theatre-odeon.eu/fr/2015-2016/spectacles/richard-iii
Présentation vidéo :
PS: Des étudiants de l’école de Condé proposent un dispositif d’immersion dans lequel le spectateur rentre dans l’intimité de Richard III, se retrouvant nez à nez avec le personnage. Dans ce rapport de proximité, l’objectif est de faire prendre conscience de la difficulté d’exercer son libre arbitre face à un homme de pouvoir dont le langage aiguisé peut vous faire aisément basculer. Six installations immersives s’étendent dans le théâtre comme une toile d’araignée dans laquelle les spectateurs sont pris. Images, sons, toucher, olfaction, tous les sens sont sollicités pour aller à la rencontre de Richard III et vivre la beauté monstrueuse de l’intérieur, jouer avec le mensonge et la vérité, faire une incursion dans la propagande. Ce projet mené par les étudiants de l’école mérite d’être applaudi et encouragé!
Info : http://www.ecoles-conde.com/richard-iii-a-lodeon-theatre-de-leurope/