Le prodige, entre l’obsession des échecs et la tentation d’y échapper

Parmi la multitude de films à voir ce mercredi 16 septembre, il y en a un que j’attendais particulièrement et qui ne m’a pas déçu. Voire, il m’a complètement emballé, hypnotisé, renversé. Le prodige est une merveille de film. Petit warning: peut-être faut-il avoir une certaine appétence pour ce jeu pour apprécier le film… ça doit jouer pas mal pour moi, donc je ne suis certainement pas très objectif. Encore que… Pour une fois, je loue le jeu de Tobey Maguire, généralement un peu juste, et cette analyse millimétrée de l’esprit torturé du grand maitre des échecs Bobby Fischer.

 

En 1972 s’est joué ce qui est communément appelé « La Partie du Siècle ». Le fantasque mais talentueux joueur américain Bobby Fischer confronté à l’ogre russe champion du monde Boris Spassky pour la conquête du titre en 21 points. Bloc de l’ouest contre bloc de l’est, le troublions yankee contre l’imitable héritier de la redoutable école russe d’échecs célèbre pourvoyeuse de joueurs de légende. En pleine guerre froide, cette partie a eu un retentissement difficilement imaginable de nos jours. Scénario de tragédie grecque, émaillé de coups de théâtre et d’invraisemblables retournements de situation dignes d’un combat de Rocky Balboa. Mais qui est Bobby Fischer? Certainement plus qu’un joueur d’échecs lambda…

Le prodige avis

Le Prodige braque ses projecteurs sur l’unique star américaine des échecs au 20e siècle. Le scénario de la partie jouée à Reykjavik en 1972 a fait entrer Bobby Fischer dans le cercle rétreint des rock stars. L’enfant de Brooklyn semble n’avoir eu qu’une seule et unique passion dans la vie, celle des échecs. De parties en victoires, de fines stratégies en coups de théâtre en passant par un apprentissage constant des parties historiques, le jeune Bobby Fischer s’est développé dans un contexte quasi autistique. Ne perpétuellement voir que 64 cases vous obnubile et peut vous faire dérailler. Et quand on sait que la préparation d’un mouvement suppose l’analyse d’un milliard de coups par seconde soit 14 coups d’avance, ce qui prendrait donc 6 mois pour en venir à bout, on comprend le labyrinthe qui peut se créer dans un esprit fragile. Le film déroule la bobine d’une obsession dévastatrice, génératrice de paranoia et de complexe de persécution.

Le film joue sur deux tableaux: d’un côté un esprit qui échappe autant à la logique commune qu’il maitrise comme personne les 64 cases, d’un autre côté la froideur mathématique et inexpugnable de l’échiquier. L’agitation de l’excellent Tobey Maguire contraste avec l’immuabilité des pièces méthodiquement disposées. L’excentricité d’un tel esprit pouvait-elle être la seule capable de faire vaciller l’ogre russe? L’emprise du jeu sur l’esprit de Fischer lui fait atteindre des sommets… pour peu de temps, avant qu’il ne s’envole dans une dimension inaccessible. Comme Icare, il s’est approché trop près du soleil et s’est brulé les ailes. Ce Bobby Fischer m’a rappelé l’Amadeus de Milos Forman ou le Tchaikovsky de The Music Lovers. Quand l’art se confond avec le génie, les pieds décollent et la tête perd l’équilibre.

Le prodige

La mode est au poker. Jeu divertissant, où le bluff et le culot font des merveilles. La dimension d’esbroufe a également sa place aux échecs, même si la capacité d’analyse et d’anticipation contribuent à 95% du travail. Pas de hasard, pas d’inattendu, seulement des initiatives heureuses ou des bévues désastreuses. Le bluff est accessoire face à la nécessaire concentration. Les mouvements de caméra sur l’échiquier semblent lui donner vie malgré son inertie intrinsèque, les échecs s’élèvent dans une dimension quasi mythologique. Les pièces ne bougen-t-elles pas toutes seules? Quitter la logique cartésienne pour rentrer dans un monde parallèle est grisant, et c’est là que le film enivre. Il joue entre réalité et hallucinations, logique et déraillement, pour finalement confondre toutes ces dimensions. Réussir à se laisser complètement aller pour coller au plus près des intentions du réalisateur… je dis wouah.

Je ne résiste pas à la tentation de vous raconter une scène mythique du film, qui me restera longtemps à l’esprit. L’ogre russe Sspasky commence à vaciller et imagine que sa chaise vibre. La caméra reste fixe, montrant la table et les 2 joueurs de profil. Le russe s’agite, retourne sa chaise pour l’inspecter. La tête de Tobey Maguie pendant cette scène est mythique. Lui habituellement intenable reste de marbre, dodelinant légèrement la tête, les yeux dans le vague. Je pourrais revoir le film une seconde fois rien que pour cette scène. C’est du très grand art, tant dans le cadrage que dans le jeu des acteurs, révélant que oui, l’amorce psychologique est de la partie. Au-delà de l’analyse froide, il y a des hommes avec leurs egos et leurs travers. Fischer-Sspacky, c’est deux caractères, deux cultures qui s’affrontent, tanguent, se redressent et échafaudent des plans. Les regards échangés entre les deux adversaires sont lourds de sens…


 

Le prodige offre 1h54 de bonheur pour qui acceptera de se laisser entrainer dans un voyage enivrant. Pas d’effets spéciaux ni de super héros, juste une fine analyse d’un esprit habité et déconnecté. « Il ne connait ni le Vietnam ni les Beatles » dit de lui un proche. On en est là, un monde parallèle où les repères sont brouillés. Que c’est bon de se laisser balader et de se sentir largué! L’accepterez-vous?

 

La bande annonce :

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour ! j’ai vu la BO au cinéma en allant voir un autre film et il m’accroche! Ton article confirme bien mon envie .Mais je vais devoir attendre sa sortie en DVD car zome de ma vie 😉 n’aime pas du tout , ainsi vont les choix un peu logique ! Quand à AdoDino ……….Bon quelque part c’est un film ou effectivement il n’y a pas d’effets spéciaux et ou tu le définis bien c’est une histoire vraie avec pratiquement » un 8 clos » qui doit être très prenant .Merci pour ce bel article qui au moins confirmera mon achat !! Bonne journée à toi !!!

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