Grande roue et antihéros pour Liliom aux Ateliers Berthier

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Les Ateliers Berthier sont le petit frère du théâtre de l’Europe. Si les grands classiques sont plus fréquemment joués dans la salle historique située à Odéon, les pièces plus aventureuses frappent fort Porte de Clichy (Métro ligne 13!). Une salle modulable à l’envie et une énorme scène se prêtent à des scénographies monumentales, les pièces jouées à Berthier impressionnent par leur ambition et leur gigantisme. De la place, de la hauteur, de l’espace, les Platonov, Particules élémentaires et Cendrillon ont été autant de témoignages des trouvailles techniques et scénaristiques offertes par des metteurs en scène innovants. Liliom suit cette belle lignée.

Liliom est une pièce aux ascendances anciennes. Ecrite en 1909 par l’auteur austro-hongrois peu connu Ferenc Molnar, c’est une histoire d’amour, de liberté et de mort initialement ancrée dans le monde d’avant Première Guerre mondiale. Une ambiance d’ancien régime devait flotter dans les mises en scène classiques de la pièce, avec un monde dépouillé de richesses. Le dénuement affleure toujours mais dans un univers actualisé. Les personnages n’étaient et ne sont toujours pas des aristocrates viennois mais des petites gens, qui vivent toujours de petits riens dans un monde de caravanes et de larcins.

Liliom est le surnom d’un jeune homme sans attaches. Frustre et rugueux, il est bonimenteur dans une fête foraine, à la solde d’une propriétaire d’auto-tamponneuses. Ses origines sont aussi inconnues que ses intentions. Il séduit pourtant toutes les femmes et surtout Julie par ses manières viriles et autoritaires. Leur amour est aussi anachronique que sans relief. Pas de déclarations enflammées, pas de romantisme à fleur de peau. Ils se rencontrent, Julie tombe enceinte, Liliom doit subvenir aux besoins de sa famille naissante. Intrigue limpide. Et revêche. Car le point d’orgue de leur relation est une gifle incontrôlée, reflet de l’incapacité du jeune homme à baisser la garde.

Liliom ne peut se départir de sa bougonnerie, il incarne l’animalité. Il se sent puissant mais il est naïf. Un instinct monolithique limite son horizon, la confrontation physique lui semble une fin en soi alors qu’aucune récompense ne l’attend au bout. Il se bat et refuse les compromis, rembarre au gré de ses humeurs mais s’enferme dans sa rigidité. Au final, sa vie est un non choix, il est libre dans une cage trop grande pour lui. Anti-héros ni triste ni heureux, il déroule le fil de son existence sans en connaitre la trame. Signe de lâcheté?

Son existence se finit sur un énième drame et un autre non choix. Se donnant la mort après un chapardage mal préparé et afin d’éviter la prison. Il perd le peu qu’il détenait, et il s’en fiche. Je ne sais quoi en penser. Jusque-boutisme? Anarchisme? Il reviendra sur terre pour rencontrer sa fille. Qu’il giflera également. Vraiment, j’avoue être un peu perdu… Liliom est un chien fou. Je dois dire qu’une telle intransigeance est quelque peu lassante. Heureusement, il y a la mise en scène, flamboyante, ébouriffante.

Pour le plus grand plaisir des spectateurs, le drame est introduit, accompagné et rythmé par un orchestre acoustique. Une batterie, un piano, une trompette, une harpe et des choeurs cadencent les transitions et apportent une touche d’humanité à un personnage qui en manque cruellement. Et que dire de ce décor spectaculaire de fête foraine, avec ses auto-tamponeuses et sa grande roue qui semblent narguer l’impuissance de Liliom à s’élever, belles trouvailles du metteur en scène Jean Bellorini. Ces deux artifices théâtraux accentuent l’impression d’être situé dans une banlieue d’aujourd’hui. Les dialogues parlés et sans vers soulignent cette atmosphère d’actualité. L’empire austro-hongrois est bien loin, le drame est éternel.

La troupe d’acteurs est jeune et énergique. Liliom et Julie évoluent au milieu d’une joyeuse bande de complices souvent comiques pour échapper à enjoliver la fatalité du destin. Les 2 gendarmes sont des Laurel et Hardy qui servent de fil rouge au drame. Un acteur parfois homme parfois femme sert de caution expérimentée en multipliant les rôles. Ils ont la vigueur, ils ont le talent, on les reverra!

Après deux heure et 7 actes, la pièce se finit dans un soulagement. Julie et sa fille survivent, les amis s’en sortent. Le seul dindon de la farce est cet incorrigible Liliom, à la destinée si hasardeuse. La pièce est un plaisir des yeux mais l’impression d’impasse prédomine. Je ne voudrais pas rencontrer ce Liliom si atrabilaire.

Plus d’info sur le site de l’Odéon : http://www.theatre-odeon.eu/fr/2014-2015/spectacles/liliom

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